Témoignages

(Photo J. Bolinches)
Notre vie depuis le 9 avril 2023

    Le témoignage de Vanessa

    Nous sommes à bientôt 1 an de ce terrible drame.

    Terrible par la perte humaine qu’il a causée,

    Terrible par les dégâts qu’il a causés.

    1 an déjà beaucoup de choses se sont passées,

    1 an déjà et pourtant cette impression que pas grand-chose a avancé.

    Je sens encore ce souffle chaud dû à l’explosion,

    J’entends encore ce bruit assourdissant

    Je sens encore ce nuage de poussière et fumée m’envahir à ne plus pouvoir en respirer.

    Tout s’est passé si vite et pourtant bien des séquelles sont encore présentes dans mon corps, dans ma tête.

    À tout jamais ma vie est désormais chamboulée, à tout jamais ma vie ne sera plus la même.

    Même si rien n’est comparable à mes voisins qui eux ont perdu la vie, même si rien n’est comparable à la douleur de leurs proches : cette vie aujourd’hui en est tout autre.

    1 an à essayer de se reconstruire (le chemin est encore long…)

    1 an à essayer d’accepter son sort

    1 an à se battre avec les administrations, les assurances, les banques, les syndics…

    Les problèmes et obstacles quotidiens pour essayer de faire valoir nos droits en tant que sinistrés et délogés sont lourds, il faut beaucoup d’énergie et toujours ce sentiment bien présent d’être oubliés, d’être mal compris, de ne pas être entendus.

    Essayer de recréer un cocon familial, un autre chez soi, quand on n’a quasi plus rien, quand ce n’est pas un choix mais une obligation c’est très difficile.

    Une chance inouïe, celle d’être vivante avec mon mari et mon fils, une chance d’être bien entourée avec la famille, les amis, les collègues de travail, l’association du collectif Tivoli… leur aide est précieuse et tellement utile.

    Il faut savoir qu’à ce jour, aucune visibilité, ni même de rapport écrit noir sur blanc, de la part des assurances sur le montant exact de leur prise en charge concernant les travaux, pour certains les devis ont été transmis, aucune proposition également concernant la prolongation de prise en charge du relogement qui arrive à son terme pour la plupart des délogés.

    Le combat sera hélas encore long pour nous tous sinistrés et délogés !!!


    Johanne, « Un an déjà : une éternité ! Hier pourtant… !! Aujourd’hui… »

    Avant-hier, la vie partout : dedans, dehors, autour, à l’intérieur, à l’extérieur, dessus, dessous.

    Hier, l’explosion : 8 corps morts, 2 immeubles écroulés, 1 quartier anéanti, plus de 300 délogés ahuris.

    Je suis vivante. Tu es vivant. Nous sommes vivants.

    27 ans de vie dans cet immeuble à l’angle des rues Tivoli et Abbé de l’épée. Nous y avons été jeunes, nous y avons été parents. Nos enfants sont partis, presque… Nous connaissons les voisins, leurs habitudes, nous observons avec curiosité ceux qui arrivent, nous pleurons ceux qui partent. Simple vie de quartier, jusqu’à cette nuit du 9 avril 2023 où les murs ont tremblé, où les pierres ont hurlé, où le silence s’est réveillé dans un cauchemar de fumée, de poussière, de sang et de sidération.

    Avant-hier, la musique des voisins, le cri des mouettes, l’odeur du café torréfié de MOKA, les collines au loin et l’étendue de la ville.

    Hier, le son cristallin et distinct de chaque pierre qui tombe et se fracasse sur le bitume, la poussière qui pénètre sans gène par les fenêtres étrangement ouvertes, la gorge qui pique « c’est quoi ce truc ? », la vue brouillée qui ne cesse pourtant de regarder le tas de pierre de l’immeuble d’en face qui n’est plus, les pompiers qui s’agitent, la nacelle qui sauve…

    Je suis vivante. Tu es vivant. Nous sommes vivants. Je sursaute à chaque grognement vibrant du tram, à chaque chaque fois qu’une grue vient recracher le verre du container dans le camion benne. L’odeur des viandes grillées me donne la nausée. Je regarde mais je ne vois pas.

    L’immeuble a tremblé, nous propulsant hors de notre sommeil, hors de notre appartement, hors de notre corps, hors de notre vocabulaire, hors de notre logique et de notre compréhension. Nous dormons sans dormir chez les amis, la famille, à l’hôtel. Nous campons dans un appartement, notre « pascheznous « . Merci à vous les Solidaires ! Qu’aurions nous fait sans vous ?!

    Avant-hier, la politisation de la pauvreté et des sans-abris.

    Hier, la symbiose avec les sans-abris.

    Je suis vivante ? J’ai un toit. Nous avons un toit – « de quoi tu te plains ? ». J’ai honte. Je ne suis pas une sans-abris. Je ne suis pas à la rue. J’ai honte. Culpabilité.

    Avant-hier, la rigolade des bons souvenirs, la dégustation du présent, l’impatience du futur.

    Hier, le trou, le néant, la mort de l’esprit, la pantomime.

    Je suis vivante ? Je ne sais plus dire. J’ai oublié l’alphabet, la grammaire, et les recettes de la sociabilité.

    Avant-hier, la contrainte du jeu d’adulte, le choix désinvolte du syndic qui n’oublie jamais d’envoyer la facture trimestrielle, le choix de l’assurance de l’appartement « c’est cher ! Pas besoin de payer en plus l’aide juridique hein ? », la décision de faire des travaux « de quelle couleur le mur de la cuisine ? ».

    Hier, la stupéfaction « merde, on n’a pas coché l’aide juridique », le silence du syndic « pourquoi il répond pas ? ».

    Je suis vivante. Tu es vivant. Comment on fait ? On s’agite, on écrit, on se renseigne, on cherche, on envoie des mails « merde comment on va faire sans ordi c’est petit le téléphone », on crie en silence, on crie en vrai, on va chercher, on demande, on écrit des mails, on téléphone, au bout le silence, l’inaction, ça nous rend fou, on s’énerve, on pleure, on écrit des mails… Que des sourds !

    Avant-hier, la jeunesse.

    Hier, le bel âge.

    Je suis vivante. Je suis vieille. Je suis fatiguée. Epuisée.

    Un an que nous sommes délogés, sans savoir si le temps, ce temps qui passe si vite mais dont les secondes pèsent des siècles, si le temps va se réveiller « c’est fini, rentre chez toi ». Je n’aime pas les parenthèses. Les travaux d’en face ont enfin commencé. Les travaux d’en face se sont arrêtés. Nos travaux n’ont pas commencé. Nous, nous n’avons pas arrêté : pour chercher des informations, pour se constituer partie civile, pour trouver des artisans, pour remplacer le syndic. Pas vraiment de devis. Tout est long. Le temps s’étire sans fin. Combien ça coûte ? Combien l’assurance va-t-elle nous rembourser « c’est pas ma faute je suis victime t’avais qu’à cocher la bonne case sur le formulaire de l’assurance ! ».

    Avant-hier, les apéros entre amis, les légumes frais cuisinés, le jogging hebdomadaire, la musique à tue tête, le jardinage sur le balcon, la farniente allongée au soleil, la lecture sur le lit.

    Hier, les bars « rentrer le tard possible « , les chips, la course des démarches « je suis fatiguée vas-y toi », la sonnerie du WhatsApp, les pilules anti-déprime, les mails, les lettres.

    Je suis vivante. Tu es vivant . Nous sommes vivants. « Un pastis ? Un autre? pas eu le temps de faire les courses. Des pâtes c’est très bien. T’as fini le chocolat ? ». J’ai mal au ventre. Mercredi soir réunion avec le CA de l’association Tivoli. Jeudi réunion avec la mairie après le boulot « je rentrerai tard ne m’attend pas. Vendredi le CLAV. Lundi si on me confirme le rendez-vous je vais vite à l’appart l’avocat me demande l’acte de propriété, après j’ai rendez-vous avec le psychiatre de la CUMP. Les blattes ont profité de notre absence pour s’installer chez nous. Faut que j’achète de la poudre de Diatomée. Pas pu prendre mon manteau, le type de la sécurité n’avait pas eu confirmation de mon rendez-vous. Je le prendrai la semaine prochaine en espérant que le temps se maintienne. Les plantes ont crevé. T’as une réponse du syndic pour l’ingénieur structure ? L’architecte propose mardi matin pour faire venir l’artisan menuisier. Tu peux y aller moi je peux pas je travaille. »

    On apprend le fonctionnement d’une association, on soude des amitiés sans prendre le temps de meuler les soudures grossières, pas le temps, pas l’énergie. L’énergie se canalise dans le combat de l’accord-cadre et l’aboutissement de l’enquête. A Paris une explosion, dans le 5e et rue Abbé de l’épée. C’est vrai ?! Mal au ventre. A Toulouse l’immeuble a été évacué à temps. On regarde hypnotisé les images sur nos téléphones portables. « Vous aussi vous êtes délogés ? Faut vous rapprocher de la FENVAC, vous constituer en association, après ça va prendre du temps, du temps du temps… »

    Avant-hier, rue Chave, une maison de presse.

    Hier, rue Chave, une maison de presse.

    Mais c’est quoi cette agence immobilière ? L’immobilier s’effondre non ? Mais pas les prix !

    On dit que le temps s’étire comme de la guimauve. Mais quand on la remonte pour la reconstituer cette guimauve ,comme M. Hulot pendant ses vacances, est-ce que le temps s’arrête pour autant ? Est ce qu’on peut revenir en arrière ?  Est-ce que lorsqu’elle touchera terre on sera demain ?

    Demain…

    Demain ???


    Le témoignage de Flo

    Fin d’année 2022 et début d’année 2023 difficile, je me sépare au bout de 21 ans de vie commune.

    Je me retrouve seule dans mon appartement avec mon fils adoré et mes deux chattes.

    C’est difficile mais j’ai plein de projet dans la tête, je vais aménager une chambre pour la louer à une étudiante ou faire du Airbnb comme ça j’arrondirai mes fin de mois et en plus j’aurai de la compagnie, ça c’est vraiment chouette.

    Soirée Pasquale : soir du 08 Avril 2024, veille des 17 ans de mon fils, je vais chanter le cœur joyeux à l’église des Réformés Canebière.

    Minuit 15 environ, je ramène Jacqueline Boulevard Eugène Pierre, comme à mon habitude je prends la rue Jaubert et je descends la rue Tivoli pour rentrer chez moi, j’envoie un message devant le container à poubelle (minuit 32) pas loin du laurier rose, je croise même le papa d’Eliott, on se salue sans parler.

    Me voilà dans mon appartement, je caresse mes chattes puis décide de me faire chauffer quelque chose à manger. Je suis dans ma cuisine côté Abbé de l’épée.

    Comme un éclair rouge puis jaune, un bruit assourdissant, un souffle me projette contre mon comptoir de cuisine.

    Mon cerveau ne comprend pas ce qui se passe, un silence macabre qui me semble très long se termine pour laisser place aux sirènes des pompiers, toutes mes fenêtres se sont ouvertes, des éclats de verre jonchent le sol, mes chattes sont terrorisées, mon fils – où est mon fils.

    Je regarde par la fenêtre côté Abbé de l’épée, des hurlements, des tas de cailloux partout.

    Je cherche mon téléphone durant un temps qui me parait être infiniment long, ces minutes je m’en souviendrai toujours comme ce bruit, cette odeur de poussière à laquelle s’additionnera une odeur de feu.

    Je trouve finalement mon téléphone, j’essaie de joindre mon fils plusieurs fois, il ne répond pas, j’ai l’impression d’étouffer, que je vais mourir.

    Je contacte une amie Martine qui me répond, confuse j’essaie de lui expliquer qu’il n’y a plus d’immeuble en face de chez moi que ça a explosé.

    Enfin mon fils me téléphone, il est vivant…

    Je vais dans sa chambre côté Tivoli, des cailloux dans sa chambre, de la poussière partout, fenêtres ouvertes, cris….

    Durant les minutes suivantes je vais de façon automatique balayer et essayer de ranger tout ce qui ne va pas, je dois protéger mes chattes, enlever les morceaux de verre…..

    Finalement les pompiers viendront me dire de sortir par 3 fois, j’ai dû quitter mon petit nid que j’aime tant le cœur lourd, en sachant au fond de moi que je n’étais pas prête de revenir ici chez moi.

    S’ensuivent des nuits sans sommeil pour moi et mon fils, des migraines, des douleurs au dos, des angoisses, des odeurs de gaz, les premières nuits durant 10 jours j’ai dormi avec la couverture de survie donnée par les pompiers car j’avais des frissons.

    Des morts, 8 personnes sont décédées dans ce drame terrible, j’ai quelques échanges avec le papa de Marion.

    Nous sommes maintenant à un an de cette date terrible. Nous sommes toujours délogés mon foyer et d’autres qui ont tout perdu, j’espère retrouver mon chez moi, essayer de le réapprivoiser avec tous ces changements douloureux et surtout avoir assez d’énergie pour suivre les travaux, les formalités administratives.


    Florence, « Bientôt un an… »

    Bientôt un an. Que reste-t-il de cette terrible nuit ?

    Beaucoup de chagrin pour les personnes disparues. Je connaissais certaines depuis mon adolescence. C’est dire si cela fait longtemps. Mon premier réflexe, ce dimanche matin après l’explosion, a été d’appeler Nicole qui habitait le rez-de-chaussée. Je n’étais pas chez moi cette nuit-là. Et heureusement, car j’aurais certainement été gravement blessée – ma chambre donne au niveau du premier étage du 17 rue Tivoli. Il m’arrive encore de voir la silhouette des personnes décédées dans le quartier. Une ressemblance lointaine… et je les revois. Il y a aussi la perte de ma chatte. Disparue cette nuit-là. Je ne sais pas si elle est vivante ou si quelqu’un a pu la recueillir.

    Beaucoup de colère et d’amertume quand je vois la lenteur administrative, le peu d’empathie des assurances, des experts en assurances, les entreprises : tous des requins… Les démarches pour résilier les différents opérateurs. La galère pour se faire comprendre. Le cas ne rentre dans aucune de leurs cases. Le but étant de laisser trainer les choses car il y a beaucoup d’enjeux financiers. Chaque démarche me donne l’impression d’être coupable et non victime. Il faut sans cesse expliquer, justifier, fournir des documents. J’apprends de plus en plus la notion de relativité du temps…

    Beaucoup de fatigue également à courir entre les différentes démarches, le suivi psychologique, le travail à continuer, les crises de nerfs comme je n’en avais jamais eu de ma vie. Il faut se battre pour obtenir simplement son droit. Le soutien familial qui n’est pas aussi présent que j’aurais aimé. L’incompréhension qui s’installe. Le repli sur moi aussi pour ne pas montrer ma fragilité.

    Oui, un an après, je suis toujours délogée. Pour combien de temps encore. Nul ne le sait.

    Et mardi, la commémoration…